Le Spiritisme dans le monde

Au Brésil

Fête de charité typiquement française en hommage à Allan Kardec, São Paulo, 2008.
À la fin du XIXe siècle, Rio de Janeiro s’affiche comme le centre culturel du Brésil et accueille avec intérêt le spiritisme venu de Paris, une autre capitale des arts. Des intellectuels brésiliens entretiennent une correspondance avec Pierre-Gaëtan Leymarie et collaborent à La Revue spirite avant de publier des dizaines de journaux spirites comme O Reformador, Eco de Alem-Tumulo, Espiritualismo experimental, Era Novo, Regenerator, Evoluçao, ou A voz espirita. Profitant de l’essor du journalisme, le spiritisme se répand à travers le pays.
Son principal porte-parole est le député de Rio Bezerra de Menezes (1831-1900). Ce médecin et homme politique très populaire prend la direction de la jeune Fédération spirite brésilienne et la transforme en une organisation influente. Dans la ville de São Paulo, António Gonçalves da Silva (1839-1909), dit « Batuira », devient un propagateur dynamique en fondant des œuvres sociales ainsi que la revue Verdade e Luz. Dans la même région, Augusto Militão Pacheco (1866-1954), médecin et inspecteur sanitaire de l’État de São Paulo, installe des dispensaires spirites et convertit nombre de ses confrères. Les zones reculées du Brésil sont sillonnées par un propagateur de l’œuvre de Kardec, Cairbar Schutel (1868-1938), surnommé le « Bandeirante du spiritisme ». Schutel établit à Matão un important centre spirite puis édite le bulletin O Clarim diffusé à 40 000 exemplaires en 1913 et qui existe encore. Dans les années 1920 et 1930, il fonde le mensuel Revista Internacional do Espiritismo, écrit 17 livres et anime une série de conférences radiodiffusées. Son action sociale s’affirme aussi par l’organisation gratuite de soins et l’ouverture des premiers hôpitaux spirites, dont celui d’Araraquara qui porte aujourd’hui son nom, dans l’avenue qui lui est dédiée.

Dans le domaine de l’éducation, la féministe Anália Franco (1856-1919) s’illustre par l’ouverture de dizaines d’écoles maternelles et de bibliothèques. Son nom reste celui de la première femme spirite brésilienne qui donne au mouvement un rôle social et culturel fort, sans mettre en avant son aspect religieux. Dans l’État du Minas Gerais, trois grandes figures du spiritisme popularisent la doctrine au cours du XXe siècle. Eurípedes Barsanulfo (1880-1918), dont la réputation de médium-guérisseur attire les foules, inaugure en 1907 à São Paulo le collège Allan Kardec en introduisant pour la première fois la mixité dans les classes. José Pedro de Freitas (1921-1971), surnommé « Zé Arigó », se découvre médium-guérisseur également en fréquentant les centres spirites, avant de faire affluer les malades et les reporters du monde entier. Mais c’est surtout Chico Xavier (1910-2002), médium guérisseur et psychographe qui, en produisant plus de 400 livres et en participant aux émissions de télévision les plus suivies de l’époque, transforme le spiritisme en un mouvement de masse. Sous son impulsion le Brésil devient « la patrie d’adoption du spiritisme, sa troisième religion ».
Plus le mouvement s’étend, plus il se diversifie. L’apparition de l’Umbanda, vers laquelle penche une partie des spirites, ajoute à la confusion. Afin de marquer leur identité, toutes les fédérations qui se réclament de la doctrine spirite se réunissent à Rio, le 5 octobre 1949 pour signer le Pacto Áureo (Pacte Noble), qui engage les signataires à suivre le modèle défini par Kardec. Toujours en vigueur, ce pacte permet de cerner le champ spécifique du spiritisme kardéciste dans la vaste mosaïque religieuse brésilienne.
Représenté par plus de 6 millions de membres et 20 millions de sympathisants, le spiritisme est aujourd’hui au Brésil une religion et une institution dont les œuvres sont reconnues d’utilité publique. Ces dernières comprennent un très grand nombre de crèches, d’orphelinats, d’écoles professionnelles, de bibliothèques, de cliniques, d’hôpitaux, de dispensaires, de maisons de retraites et de cabinets de médiums qui jouissent d’une légitimité et d’une légalité unanimement reconnue. Sur le terrain, le mouvement s’appuie sur des dizaines de milliers de centres autonomes dont les plus importants accueillent quotidiennement plus de 6 000 personnes, pour des services d’assistance qui vont du conseil juridique à la désobsession. Les hôpitaux psychiatriques spirites sont subventionnés et pourvus de médecins diplômés d’État. Ces établissements ont ainsi développé un mode de soin original qui considère que des troubles mentaux peuvent provenir d’évènements survenus lors d’une vie antérieure ou de l’influence d’esprits hostiles au patient.
Il existe au Brésil une association des magistrats spirites (fondée en 1999), une association des médecins spirites (fondée en 1995), une association des psychologues spirites (fondée en 2003), une association des artistes spirites (fondée en 2004), une association des militaires spirites (fondée en 1944) et une association de pédagogie spirite pour les enseignants (fondée en 2004). Le spiritisme (espiritismo) est un sujet au programme des universités publiques comme celle de São Paulo. Le ministère de l’éducation brésilien inclut le spiritisme dans le programme d’étude des religions. Un musée national du spiritisme se visite à Curitiba et un autre à São Paulo. Depuis 2008, la chaîne de TV nationale Rede TV diffuse chaque dimanche après-midi l’émission spirite Transição (Transition). Le théâtre et le cinéma brésiliens produisent des œuvres inspirées de l’histoire du spiritisme comme Bezerra de Menezes, Chico Xavier ou Nosso Lar, qui sont des succès au box-office. Par l’article de loi PL 291 voté en 2007, le parlement brésilien a instauré chaque 18 avril comme « journée nationale du Spiritisme », en mémoire de la date de première parution du Livre des Esprits. En avril 2007, lors d’une séance solennelle de la Chambre des députés, les députés brésiliens ont officiellement reconnu le rôle du mouvement spirite dans le développement du pays.

Dans les autres pays

En Argentine, Cosme Marino (1847-1927) lance le mouvement spirite et reçoit le surnom de « Kardec argentin ». Au Mexique, Francisco I. Madero (1873-1913), président du pays de 1911 à 1913, traduit en espagnol le livre Après la mort de Léon Denis et favorise la diffusion du spiritisme dont il est adepte. À Cuba, la doctrine spirite s’est aussi diffusée dès le XIXe siècle et fait maintenant partie des traditions locales. Les autorités cubaines répertorient plus de quatre cents groupes spirites et ce mouvement concernerait environ 17 % de la population de l’île. Par ailleurs, le spiritisme serait très répandu en Islande sans que son importance apparaisse dans les statistiques officielles.

La situation aujourd’hui

Quasiment oublié dans la France où il est né, le mouvement spirite y conserve encore quelques milliers d’adeptes et reprend de la vigueur depuis les années 1980. Il est maintenant installé un peu partout dans le monde et doit l’essentiel de sa croissance aux missions qui partent du Brésil, considéré comme le « maior país espírita do mundo », le principal pays spirite du monde. D’après la presse traditionnelle brésilienne, la culture spirite est particulièrement dynamique. Elle s’appuie sur les « auteurs médiums » contemporains comme Divaldo Pereira Franco, Raul Teixeira et Yvonne do Amaral Pereira ou sur des journalistes comme André Trigueiro (Spiritisme et écologie), ainsi que sur l’enseignement d’un catéchisme spirite dès le plus jeune âge. De nos jours, la nouvelle terre d’expansion est les États-Unis, dans lesquels une centaine de centres spirites se sont constitués en une quinzaine d’années.
Au niveau mondial, les dizaines de milliers de centres spirites sont représentés par un Conseil Spirite International qui, selon des sources journalistiques, fédère plus de vingt millions de « pratiquants réguliers », dans vingt-quatre pays membres. D’autres sources indépendantes font état de treize millions de spirites, qui associent souvent leur philosophie à la culture française :
« La plupart des Français ignorent ce qu’est réellement le spiritisme, et jusqu’au nom d’Allan Kardec. J’étonnerai sans doute beaucoup de lecteurs en leur révélant, pour terminer, que le rayonnement du génie français à l’étranger n’est pas toujours dû en premier lieu, comme ils le supposent, à Voltaire, à Rousseau, à la Révolution, à Napoléon ou à Pasteur, mais parfois à Allan Kardec et à son spiritisme. »
— Jacques Lantier, Le Spiritisme ou l’aventure d’une croyance, dernière ligne de la conclusion.