Le spiritisme codifié par Allan Kardec est une philosophie spiritualiste qui apparaît à Paris en 1857 et qui donne naissance à un mouvement socioculturel en Europe, jusqu’au début du xxe siècle. Kardec en expose les principes dans Le Livre des Esprits et dans les ouvrages suivants.
Allan Kardec définit le spiritisme comme une doctrine fondée sur l’existence, les manifestations et l’enseignement des esprits, possédant des lois morales et reposant sur une échelle spirite. Ce courant de pensée estime que les médiums peuvent communiquer avec les défunts, par l’utilisation d’une énergie spirituelle appelée périsprit. D’abord Européen, ce mouvement s’est ensuite diffusé en Amérique latine, devenue très influent tant dans la vie politique que sociale.
Fondé sur la croyance en Dieu, en la réincarnation et en la communication avec l’au-delà, le spiritisme regroupe actuellement plus de dix millions d’adeptes à travers le monde, très majoritairement situés en Amérique latine. Il a influencé nombre de courants spiritualistes et a joué un rôle important dans l’avènement de la psychiatrie moderne.
« Le spiritisme est à la fois une science d’observation et une doctrine philosophique. Comme science pratique, il consiste dans les relations que l’on peut établir avec les Esprits ; comme philosophie, il comprend toutes les conséquences morales qui découlent de ces relations. »
Le mot « spiritisme » est un néologisme, inventé par Allan Kardec pour nommer la nouvelle doctrine spirituelle qu’il exposa dès 1857 et qui fut probablement inspirée par le mot anglais spiritism. Refusant le titre d’« auteur », Kardec devint ainsi le « codificateur du spiritisme ».
Allan Kardec expliqua dans la première page de l’introduction de son Livre des Esprits qu’il devait utiliser ce nouveau mot afin de donner une identité propre à la philosophie qu’il présentait. Dans le même ouvrage, il inventa également les mots « périsprit » et « spirite ». Le fait d’avoir institué un mot nouveau fut d’ailleurs reproché à Kardec ; à son époque, le mot « spiritisme » était parfois qualifié de barbarisme. En français, ce n’est qu’en 1860 que le mot fait son apparition dans le Dictionnaire français illustré et Encyclopédie universelle.
Avant l’usage de ce mot, les Français parlaient de « phénomènes magnétiques », de « phénomènes du spiritualisme », de « spiritualisme moderne », ou de « spiritualisme américain ». Après son apparition, le mot « spiritisme » désigna dans le vocabulaire courant toutes ces pratiques, même s’il s’agissait là d’un abus de langage. Si le terme s’est imposé rapidement, c’est parce qu’il permettait de lever une ambiguïté lexicale. En effet, il n’était pas clair de traduire le mot anglais « spiritualism » par le mot français « spiritualisme », car celui-ci avait déjà une signification, celle du spiritualisme philosophique. Ainsi, forgé au départ pour nommer un enseignement moral, le mot « spiritisme » fut progressivement associé à toutes les activités visant à communiquer avec l’au-delà.
Le spiritisme est une doctrine spiritualiste fondée sur l’existence, les manifestations et l’enseignement des esprits. Cette doctrine accepte formellement l’existence de Dieu, de la vie éternelle, de lois morales et d’une communication concrète avec divers êtres spirituels, notamment les défunts. Le spiritisme soutient également la réincarnation, sans la considérer comme nécessairement terrestre. Sous sa forme pratique, le spiritisme expérimente diverses méthodes pour tenter de communiquer avec les esprits de l’au-delà. L’instrument utilisé lors de ces tentatives est le médium. Le spiritisme s’affiche comme une discipline qui ambitionne le progrès moral et intellectuel. Il prétend constituer un trait d’union entre la science et la religion. Les adeptes de cette doctrine sont appelés « spirites » ou « spiritistes ».
Comme synonymes du spiritisme d’Allan Kardec, les auteurs utilisent aussi différentes expressions telles que : « doctrine spirite », « philosophie spirite », « kardécisme », « nouvelle révélation », « Troisième Testament », « religion des Esprits », ou « codification spirite ». Par ailleurs, dans la langue anglaise, le mot « spiritisme » est souvent synonyme de « French spiritualisme » (spiritualisme français).
« Le spiritisme est la science nouvelle qui vient révéler aux hommes, par des preuves irrécusables, l’existence et la nature du monde spirituel, et ses rapports avec le monde corporel ; il nous le montre, non plus comme une chose surnaturelle, mais, au contraire, comme une des forces vives et incessamment agissantes de la nature, comme la source d’une foule de phénomènes incompris jusqu’alors et rejetés, par cette raison, dans le domaine du fantastique et du merveilleux. C’est à ces rapports que le Christ fait allusion en maintes circonstances, et c’est pourquoi beaucoup de choses qu’il a dites sont restées inintelligibles ou ont été faussement interprétées. Le spiritisme est la clef à l’aide de laquelle tout s’explique avec facilité. »
L’Évangile selon le spiritisme, Allan Kardec
En 1847, la famille Fox qui vit dans une ferme de Hydesville, dans l’État de New York, déclare entendre des coups dans les cloisons et dans les meubles. En présence des sœurs Fox, les bruits semblent leur répondre de manière intelligente. Ce phénomène constatable par un nombre croissant de témoins est bientôt attribué à l’esprit d’un colporteur assassiné par un ancien locataire. Grisées par leur popularité, les sœurs Fox multiplient les exhibitions publiques et suscitent des vocations. Quantité de médiums prétendent alors pouvoir échanger avec les défunts et le mouvement du spiritualisme moderne anglo-saxon gagne rapidement des millions d’adeptes dans tous les États-Unis.
En 1852, une mission de médiums américains parcourt l’Angleterre. L’année suivante, quand la mode des « tables tournantes » touche la France, le mesmérisme, le swendenborgisme et le fouriérisme ont déjà préparé le terrain au « spiritualisme moderne », comme on disait à l’époque. Tous les salons de la bonne société du Second Empire discutent du sujet et tentent des expériences paranormales.
En 1854, un instituteur lyonnais, Léon Rivail, découvre ces séances insolites pendant lesquelles on « magnétise les tables ». Durant les années suivantes, il fréquente régulièrement une famille dont les filles déclarent être médiums écrivaines (« psychographe »). Progressivement, Rivail vient à chaque réunion avec une série de questions méthodiquement préparées pour noter les réponses données par les médiums. À partir de la synthèse de ses notes, il publie Le Livre des Esprits, le 18 avril 1857, sous le pseudonyme d’Allan Kardec et donne naissance à une philosophie qu’il baptise « spiritisme ».
Le Livre des Esprits connaît un succès immédiat. Réédité cinquante fois en cinquante ans, il éclipse à cette époque tous les autres ouvrages sur l’au-delà. Au début du mouvement, Kardec ne songe nullement à fonder un courant de pensée et encore moins une religion. Mais il est très vite entraîné par la popularité de son œuvre. Des témoignages lui parviennent spontanément de tous les pays et les visiteurs se pressent à sa porte. L’empereur Napoléon III lui-même s’entretient avec lui. Il envisage alors de structurer son activité.
Kardec fonde La Revue spirite qui sort des presses le 1er janvier 1858 et connaît plus de succès que celle publiée en 1857, la Revue spiritualiste de son concurrent Zéphyr-Joseph Piérart, anticlérical, plus affirmé. En quelques années, elle est diffusée dans le monde entier et compte des centaines de collaborateurs, dont Victor Hugo, Victorien Sardou et Camille Flammarion. En avril 1858 est constituée la Société parisienne des études spirites, et Paris devient alors la capitale internationale du spiritisme.
Après avoir publié le volet théorique du spiritisme dans son premier ouvrage, Kardec passe au volet expérimental en rédigeant Le Livre des médiums en 1861, ouvrage qui développe les conséquences pratiques du précédent. Il complète par la suite la doctrine spirite par une interprétation du christianisme associée à des principes moraux et sociaux. Cela aboutit à L’Évangile selon le spiritisme (1864), Le Ciel et l’Enfer (1865) et La Genèse selon le spiritisme (1868). Ces cinq ouvrages fondamentaux du spiritisme, continuellement réédités depuis leurs premières parutions, constituent aujourd’hui encore la référence doctrinale du Conseil Spirite International. À des fins de vulgarisation, Allan Kardec rédige également un résumé de 180 pages intitulé, Qu’est-ce que le spiritisme ? (1859), ainsi qu’un petit fascicule, Le Spiritisme à sa plus simple expression (1861).
Le spiritisme se propage en quelques années avec une rapidité rare pour un mouvement social. Devant les désordres provoqués par la multiplication des médiums et des débats houleux qui s’ensuivent, Kardec entreprend des voyages en province afin d’unifier les adeptes. Il forme partout des petits groupes destinés à devenir des centres spirites « sérieux » en écartant les personnes qui ne viendraient que par goût du sensationnel.
Le spiritisme s’appuie sur ces « sociétés d’études » pour tenter de constituer une grande famille solidaire ainsi qu’une école de la charité. La ville de Lyon prend la tête du mouvement et revendique trente mille spirites en 1862. Cette même année, Kardec visite les principales villes françaises et propage son instruction devant des salles combles. Au fur et à mesure de sa croissance, le spiritisme se transforme. Il délaisse son côté expérimental pour s’impliquer davantage dans les œuvres sociales et la philanthropie. Les groupes organisent des caisses de secours pour les indigents, des collectes pour les chômeurs et mettent en place les premières crèches. La Revue spirite prend parti pour le vote des femmes, l’abolition de l’esclavage, l’abolition de la peine de mort, l’internationalisme et le pacifisme.
Kardec ne ménage pas ses efforts et ses détracteurs le qualifient de « pape du spiritisme ». Épuisé par les polémiques, le travail et les déplacements, il tombe malade en 1866 et meurt d’un anévrisme en 1869. Dans la France de Napoléon III, le spiritisme regroupe alors plus d’un demi-million de personnes, avec des ramifications dans le monde entier.
Pierre-Gaëtan Leymarie (1817-1901) prend la direction officielle du mouvement et de La Revue spirite après la mort du maître. Ardent républicain et hostile au Second Empire, il maintient pendant trente ans la croissance du spiritisme, malgré des problèmes politiques et une condamnation pour fraude en 1875, suivie d’une réhabilitation. Dans les années 1880-1910, il existe en Europe une véritable culture spirite, les associations, les revues et les ouvrages se comptent par centaines.
Eugène Nus (1816-1894) dans Les choses de l’autre monde fait état de messages qui arriveraient de manière incontrôlée sous sa plume.
Eugène Bonnemère (1813-1893) collabore à plusieurs journaux spirites.
Victor Hugo (1802-1885) témoigne dans Les tables tournantes de Jersey.
Théophile Gautier (1811-1872) fait publier le conte spirite Avatar en 1857, avant d’écrire pour Le Moniteur universel une nouvelle intitulée simplement spirite.
Camille Flammarion (1842-1925) rend compte de son étude du monde des esprits dans les trois volumes de La mort et son mystère et Les Habitants de l’autre monde.
Sir Oliver Lodge (1851-1940) publie des études scientifiques sur le sujet.
Léon Denis (1846-1927) et Gabriel Delanne (1857-1926) multiplient les ouvrages complémentaires de la doctrine et contribuent à sa popularité dans toutes les classes de la société. Quelques signes annoncent cependant une perte d’influence dès la fin des années 1860 qui voit l’Église adapter son culte du purgatoire à la sensibilité contemporaine et le néorationalisme gagner les organisateurs du mouvement spirite, notamment la Ligue de l’enseignement de gauche.
À partir de 1917, le Vatican interdit officiellement aux catholiques de participer à des séances spirites et radicalise sa position vis-à-vis d’une philosophie qui se présente elle-même comme une « troisième révélation », après celle de Moïse et de Jésus. À l’intérieur du mouvement, plusieurs courants commencent à apparaître. Des adeptes s’organisent sous forme d’Églises et de groupes de prières, à l’instar de leurs homologues britanniques. D’autres orientent leurs activités dans un sens plus rationaliste pour évoluer vers ce qu’on appelle la « métapsychie » et qui deviendra plus tard la parapsychologie. Ainsi, Émile Boirac considère en 1911 que le spiritisme est « une des explications philosophiques des faits psychiques » et écarte la croyance dans l’au-delà. À l’inverse, un psychologue orthodoxe comme William James rejoint la croyance spirite vers la fin de sa vie. Tout comme Ernest Bozzano qui propage sa pensée en Italie. En septembre 1925, le spiritisme européen atteint son apogée lors de son gigantesque congrès mondial à Paris, présidé par Arthur Conan Doyle. À partir de là, son déclin rapide se produit sous l’effet de plusieurs facteurs.
Il y a tout d’abord des cas de personnes qui profitent de la popularité du spiritisme pour organiser des fraudes et des impostures. Au discrédit, s’ajoutent les tensions entre les spirites et d’autres mouvances comme l’occultisme de Papus ou la Théosophie d’Helena Blavatsky. Non seulement la métapsychie avance ses propres explications des phénomènes spirites, mais également la psychanalyse et la psychiatrie s’intéressent au psychisme et à ses manifestations. Le monde scientifique du début du XXe siècle affiche un rejet de plus en plus marqué des concepts spiritualistes. Les changements de mentalité qui s’opèrent à la même époque sont tout autant fatals au romantisme qu’au spiritisme et le mouvement s’éteint dans sa patrie d’origine, ne conservant que quelques groupes isolés. Son impact le plus important s’amorce sur un autre continent.
Biographie d’Allan Kardec (1896), Henri Sausse
« La science et la religion n’ont pu s’entendre jusqu’à ce jour, parce que, chacune envisageant les choses à son point de vue exclusif, elles se repoussaient mutuellement. Il fallait quelque chose pour combler le vide qui les séparait, un trait d’union qui les rapprochait ; ce trait d’union est dans la connaissance des lois qui régissent le monde spirituel et ses rapports avec le monde corporel, lois tout aussi immuables que celles qui règlent le mouvement des astres et l’existence des êtres. Ces rapports une fois constatés par l’expérience, une lumière nouvelle s’est faite : la foi s’est adressée à la raison, la raison n’a rien trouvé d’illogique dans la foi, et le matérialisme a été vaincu. Mais en cela comme en toutes choses, il y a des gens qui restent en arrière, jusqu’à ce qu’ils soient entraînés par le mouvement général qui les écrase s’ils veulent y résister au lieu de s’y abandonner. C’est toute une révolution morale qui s’opère en ce moment et travaille les esprits ; après s’être élaborée pendant plus de dix-huit siècles, elle touche à son accomplissement, et va marquer une nouvelle ère dans l’humanité. Les conséquences de cette révolution sont faciles à prévoir ; elle doit apporter, dans les rapports sociaux, d’inévitables modifications, auxquelles il n’est au pouvoir de personne de s’opposer, parce qu’elles sont dans les desseins de Dieu, et qu’elles ressortent de la loi du progrès, qui est une loi de Dieu. »
L’Évangile selon le spiritisme, Allan Kardec.